Le processus de création est-il un moyen d’accéder à l’œuvre ?

Sophie Lucet
20 Mai 2014

 

L’étude du processus de la création ne permet sans doute pas de rendre compte de l’œuvre, ni même de l’intentionnalité de l’artiste : mais elle incite sans doute à repenser les liens de l’artiste et du chercheur, à proposer des perspectives nouvelles dans le domaine des études théâtrales.  

Si l’archivage du processus de création est une piste d’analyse qui redonne à la théorie son sens premier, soit l’observation, et permet de recombiner théorie et pratique plutôt que de les opposer, la valeur commune aux chercheurs et aux artistes deviendrait celle de l’expérience. L’archive et le document pouvant désormais comprendre le vivant, le chercheur et l’artiste ont en commun de repenser ensemble, et l’un par l’autre, leurs savoirs théoriques et pratiques.

 

Pour définir et repréciser le terme d’expérience, il sera utile d’en revenir à l’ouvrage de Gadamer, Vérité et Méthode[1]. être saisi par l’œuvre est pour Gadamer « entrer dans un jeu », car lorsque nous contemplons une œuvre d’art, nous participons activement à un jeu qui nous implique ; jeu qui donne alors naissance à une expérience de vérité qui se situe en dehors de la science telle que nous l’entendons habituellement. Ce jeu occasionne l’interprétation du lecteur / spectateur, interprétation du passé qui en passe par une expérience actuelle. C’est ainsi que l’œuvre nous permet de nous rencontrer nous-mêmes et de faire une expérience de vérité qui nous mène à la compréhension. Ainsi, et toujours selon Gadamer, c’est cette expérience de vérité qu’il faut appliquer aux sciences humaines, celles-ci relevant davantage de l’événement (au sens de rencontre qui nous transforme) que d’une quelconque méthode. La compréhension n’est donc plus reconstructive, mais plutôt productive de sens, car en lien avec les préoccupations du présent. La compréhension est donc mise en langage.

 

Que faire de cette théorie de Gadamer pour les arts du spectacle et notre sujet ? Construire la mémoire du processus de création par son archivage nous conduit, plus que nous le présumions d’abord, à une reconstruction scientifique qui s’accorde avec le renouveau des définitions et fonctions des notions de document, d’archive et d’œuvre. Si bien qu’en esquissant une typologie des traces du processus créateur, nous nous interrogeons également sur les émergences et mutations des formes spectaculaires. Et qu’existe une interaction profonde entre les modalités de l’archivage et les tendances des arts contemporains, la question de la conservation et de la mémoire étant désormais fortement reliée à la notion d’invention.

S’intéresser à l’archivage du geste créateur est donc une façon de relier le théâtre au monde, et de le revendiquer. Dès lors, l’œuvre d’art ne revoie plus au durable ou à l’éternel - (on se souvient ici de la célèbre phrase de Hegel : « L'art consiste surtout à saisir les traits momentanés, fugitifs et changeants du monde et de sa vie particulière, pour les fixer et les rendre durables ») - mais à une vision délibérément historicisée du regard selon des codes de perception admis à une époque donnée. à un face à face, à des rencontres ; à un dialogue entre regardeur et regardé, entre scène et monde.

 




[1] Hans-Georg Gadamer, Vérité et méthode, Paris, Seuil, 1996.